Angels Landing, un sommet maudit par des anges déchus ?

Angels Landing, Zion national park, Utah (photo Ugo)
Angels Landing, Zion national park, Utah (photo Ugo)

Situé dans le sud-ouest des Etats-Unis, Angels Landing incarne l’authenticité des paysages grandioses de l’Utah et notamment de son tout premier parc national crée en 1909, Zion National Park. Ce monument naturel, haut de 1765 mètres et dont le sommet plus ou moins aplati est entouré d’impressionnantes falaises verticales plongeant littéralement dans le vide, est un témoin de l’érosion différentielle qui se produit depuis des millions d’années sur la surface sédimentaire du plateau du Colorado et plus précisément  dans la vallée de la Virgin River, un affluent de la Colorado River. Porté à connaissance du public en 1916 par un nommé Frederick Fisher qui aurait dit que seuls des anges pouvaient atterrir sur ce monolithe, Angels Landing n’a depuis cessé de faire grandir sa popularité. Aménagé en 1924 sous la direction du premier superintendant de Zion National Park, le sentier sinueux et très escarpé de cette mesa étroite constituée principalement de grès compact permet aujourd’hui à des milliers de randonneurs de se rendre jusqu’au sommet ! Hélas, depuis plusieurs années on observe une recrudescence des accidents et chutes mortelles pour ceux qui tentent de rejoindre la piste d’atterrissage des anges. Selon le livre de Dave Nelly et Bo Beck sorti en 2017, intitulé Death and Rescues in Zion National Park, 12 personnes sont mortes entre 1908 et 2016. Depuis 2016, 5 nouveaux décès ont pu être enregistrés portant ainsi le nombre à 17 morts en 2022. Fait notable, les accidents mortels se produisent surtout depuis les années 2000 et notamment pour la période 2017-2022 où nous arrivons à une moyenne d’un décès par an. Y’aurait-t-il une malédiction qui serait en train de s’abattre sur ce sommet fréquenté par les anges ? Vous l’aurez certainement compris, les causes évidentes de ces tragédies sont surtout liées à une surfréquentation des visiteurs et une mauvaise prise d’informations par un public peu connaisseur de la montagne et de ses risques. Des comportements imprudents, peu respectueux de la nature et/ou des autres usagers ont pu être également constatés et invitent à repenser la façon de parcourir ces espaces naturels. Ainsi depuis le 1er Avril 2022, il est obligatoire d’avoir un permis pour se rendre à Angels Landing. Des cas de congestion étaient devenus trop fréquents et menaçaient la sécurité des randonneurs sur des portions escarpées et très accidentogènes. Ce système de contrôle risque de se généraliser dans de nombreux parcs naturels nationaux du monde qui font face à une augmentation constante du nombre de visiteurs. Les impacts environnementaux se faisant grandissants, il est devenu essentiel d’encadrer ce tourisme en pleine expansion. 

Stries glaciaires, des griffures aux multiples grilles de lecture.

Roches moutonnées striées, glacier Blanc, Alpes (photo Ugo)
Roches moutonnées striées, glacier Blanc, Alpes (photo Ugo)

Le terme strie recouvre aujourd’hui une grande variété de formes et de marques d’érosion glaciaire. Celles-ci font l’objet d’une typologie précise que plusieurs géomorphologues spécialistes comme Charlesworth, Flint, Embleton ou encore Laverdière se sont efforcés de détailler grâce à de nombreuses prospections et études sur le terrain. Certaines de ces formes et marques d’érosion sont de précieux indicateurs sur le sens d’écoulement du glacier, sa direction, sa dynamique et plus rarement son histoire. Pour mieux comprendre ces différentes grilles de lecture, intéressons-nous d’abord à ce large spectre d’expressions glaciaires généralement bien visibles sur ce qu’on appelle des roches moutonnées. Ces surfaces rocheuses polies à leur amont par l’écoulement glaciaire offrent un véritable enregistrement du mouvement des matériaux emportés par le glacier. Les stries, au vrai sens du terme tout d’abord, représentent des rayures provoquées par l’abrasion d’un matériel fin (grains de sable, gravillons, arrête d’un caillou). Elles peuvent être de plusieurs formes (simples, en dents de scie, en tête de clou, élargissantes…) en fonction de la pression, de la topographie du « bedrock » ou de l’angle de l’outil abrasif. Les stries peuvent être un bon indicateur du sens d’écoulement du glacier notamment lorsqu’elles ne sont pas de simples rainures superficielles qui s’entrecroisent. Elles sont parfois accompagnées par des marques de tension, de petites niches ou écailles d’arrachement du « bedrock » qu’on appelle des broutures, lunules ou coups de gouge.  De forme concave, convexe ou conchoïdale, ces fractures du lit rocheux sont d’excellents indicateurs du sens de l’écoulement glaciaire. Elles apparaissent surtout sur des roches compétentes (dures et très résistantes). Parmi les autres marques d’érosion glaciaire fréquentes apparaissent également les nervures, des traînées creusées à l’aval d’une protubérance rocheuse. Elles sont de forme plus ou moins prononcée en fonction de la taille du matériel charrié par le glacier, de la plasticité de la glace ou de la résistance du « bedrock ». Certaines d’entre elles constituent d’impressionnantes rides parallèles très en relief. Lorsque le phénomène se déroule d’une manière plus large et sur une surface plus grande (échelle décamétrique), on parlera alors de cannelures.  Ces formes d’érosion sont d’excellents témoins du sens d’écoulement glaciaire mais aussi de l’histoire du glacier  puisque généralement anciennes. L’utilisation d’autres termes comme les ensellements, les nœuds,  les drag-lines, les troncatures témoignent de la complexité du vocabulaire utilisé pour décrire ces formes et marques d’érosion glaciaire. Quoiqu’il en soit, ces expressions visuelles sont souvent associées et nécessitent d’être étudiées conjointement afin d’en dégager les meilleurs grilles de lectures possibles. 

Les micro-formes d'érosion glaciaire (adapté de Maisch et al., 1993)
Les micro-formes d'érosion glaciaire (adapté de Maisch et al., 1993)

De la formation de la neige roulée au risque d'avalanche.

Neige roulée ou graupel (photo Ugo)
Neige roulée ou graupel (photo Ugo)

Précipitations à l’apparence de boules de mimosa, la neige roulée se forme généralement en montagne dans des situations atmosphériques donnant naissance à du mélange hivernal. Lorsque des nuages fortement chargés d’humidité traversent de hautes couches d’air froides et que la température à proximité du sol est proche de 0°C, ils provoquent fréquemment l’apparition de fortes chutes de neige. Ces gros flocons, bien connus des habitants de la montagne, sont le résultat d’une condensation solide de micro-gouttelettes d’eau en surfusion ayant cristallisé autour d’un germe de congélation. Alors que les cristaux de glace de flocons s’enchevêtrent lentement dans l’atmosphère avant de tomber sur le sol, les particules de neige roulée connaissent un processus de formation quelque peu différent. En captant rapidement de grandes gouttelettes d’eau surfondues dans les nuages, les cristaux de glace tels que les dendrites ou les plaquettes tendent à se givrer instantanément. Ils prennent dès lors la forme d’une sorte de grêle blanche et molle dans laquelle leur structure d’origine n’est plus reconnaissable. Cette neige givrée appelée également graupel apparaît surtout lors d’une forte activité convective causée notamment par l’arrivée d’un front froid ou d’un intense mélange de masses d’air comme en début de printemps. Emportés par les vents, les flocons subissent des métamorphoses au gré des différentes couches d’air qu’ils traversent. Arrivés sur le sol, ces grains de neige peu cohérents peuvent dans certains cas présenter un risque d’avalanche important en constituant dans le manteau neigeux une couche très instable. Fonctionnant comme un tapis de billes sur des pentes dépassant 35 degrés, ils offrent en effet un plan de glissement parfait pour de futures précipitations neigeuses. Gare donc à l’alpiniste ou au skieur qui se trouverait sur ce genre de formation consolidée par le froid. Dans une avalanche, comme disait le poète Stanislaw Jerzy Lec, aucun flocon ne se sent jamais responsable !

Des rides originales façonnées par le vent : les sastrugi.

Sastrugi, ondulations, M-C. (photo ugo)
Sastrugi, ondulations, M-C. (photo ugo)

Derrière ce terme exotique d’origine russe se cache en réalité une grande diversité de formes et de structures.  Cantonnés aux étendues de neiges très exposées aux vents, les sastrugi sont le résultat d’un processus d’érosion éolienne tout à fait particulier. En transportant par saltation des particules de neige et en déblayant les couches superficielles d’un manteau neigeux existant, le vent va permettre par des phénomènes d’accumulation et de creusement l’apparition de modelés caractéristiques en forme de rides, de cannelures ou de crêtes allongées. Grâce à des changements d’états tels que la sublimation et la condensation solide, ces formes d’érosion tendent à se consolider au fil du temps à l’image des corniches de montagne créées par cohésion de frittage. Sculptures de neige aux arrêtes parallèles, les sastrugi peuvent, lorsque l’intensité du vent devient puissante, mesurer jusqu’à 1 mètre de hauteur ! C’est d’ailleurs dans les régions polaires et notamment en Antarctique que ces irrégularités topographiques atteignent des dimensions exceptionnelles. Les sastrugi représentent dans cette zone géographique proche des cinquantièmes hurlants de véritables obstacles à la progression. Les explorateurs Ernest Shackleton et Robert Falcon Scott connaissaient bien ces champs de neige comparables à des lapiaz qu’ils nommaient d’ailleurs dans leurs carnets d’expéditions sastrugus. Cet ancien terme recouvre aujourd’hui une grande variété de faciès et selon l’envergure du phénomène plusieurs appellations seront préférées par rapports à d'autres. Les ondulations, par exemple, caractérisent des rides de faible hauteur tandis que les crêtes de vent se traduisent par des sillons plus marqués. Malgré ces différences d’échelles et d’aspect, le phénomène de formation reste identique à celui des modelés les plus aiguisés. Le terme sastrugi ballait donc à l’instar du vent sur la neige un large spectre de formations diverses. Il emporte avec lui les œuvres originales d’une nature imprévisible devant laquelle l’Homme ne peut rester qu'admiratif. 

Mont Aoraki, le perce-nuages légendaire des tribus Maoris.

Mont Aoraki, sommet de la N.-Z. (Ugo)
Mont Aoraki, sommet de la N.-Z. (Ugo)

Sommet de la Nouvelle Zélande, le Mont Aoraki représente le symbole de la puissance et de la création du monde chez les Maoris. S'élevant dans le ciel jusqu'à une altitude de 3 724 mètres, ce massif montagneux est régulièrement plongé dans les grandes masses nuageuses arrivant de l'ouest. Seule sa partie sommitale entourée de neiges éternelles demeure régulièrement visible au dessus des nuages. Traduit du Maori "Ao" qui signifie nuages et aussi monde, et du mot "Raki" qui veut dire sec ; le substantif Aoraki pourrait s'interpréter dans notre langage comme le Perce-nuages, un lieu très haut qui domine le monde et où l'air sec offre une bonne visibilité. Dans la culture Maori, une légende très populaire raconte qu'autrefois Aoraki était le fils de Rakinui, le père du ciel. Un jour, ce jeune homme entreprit un long voyage en canoë en compagnie de ses trois frères dans la région de Papatuanuku, la Terre mère. Leur canoë s'échoua contre un rocher et commença à s'enfoncer dans l'océan. Aoraki et ses frères grimpèrent alors en direction de la proue pour se sauver quand soudain un vent fort et froid venant du sud les transforma en rochers de glace. A la suite de cet accident, leur canoë devint "Te Waka", l'île du sud de la Nouvelle Zélande, et la proue de leur embarcation, les fjords de Marlborough. Les frères se changèrent en " Ka Tiritiri o te Moana" qui signifie les Alpes du sud et Aoraki, qui était le plus grand d'entre eux, devint le plus haut sommet de cette chaîne montagneuse. 

Pic sud du Denali : Toit de l'Amérique du Nord.

Pic sud du Denali, Alaska (photo ugo)
Pic sud du Denali, Alaska (photo ugo)

Avec 6 194 mètres d'altitude, le pic sud du Denali, anciennement appelé mont McKinley, est le point le plus élevé d'Amérique du nord. Il n'est pas facile à apercevoir et n'apparaît que lorsque le ciel est entièrement dépourvu de nuages. Les chances de l'observer sont plus fortes en saison sèche, c'est à dire pendant l'hiver. La façade méridionale de la grande chaîne d'Alaska a la caractéristique de recevoir beaucoup plus de précipitations neigeuses que la façade septentrionale. L'air chaud et humide, apporté par le courant des Aléoutiennes, dérive en effet vers le nord et subit alors un effet de refroidissement orographique. Les glaciers sont ainsi beaucoup plus impressionnants sur la face sud du Denali. La façade septentrionale, quant à elle, fait office d'abri topographique. Elle permet ainsi l'épanouissement d'une faune et d'une flore plus diversifiée. Le Denali détient le record de la plus haute élévation au monde puisqu'il démarre d'un plateau situé à 700 mètres d'altitude, soit une élévation de près de 5500 mètres ! Les conditions climatiques y sont extrêmes. Le dernier record de température enregistré avoisine les -75 degrés Celsius. En raison des fortes pressions atmosphériques causées par le froid, l'oxygène se raréfie beaucoup plus tôt en altitude ; ce qui en fait une des montagnes les plus difficiles à gravir au monde.

Denali National Park - Alaska

Situé dans la plus haute partie de la grande chaîne d'Alaska, le parc national de Denali offre un spectacle de nature sauvage des plus époustouflants. Avec ses paysages de vastes taïgas, de toundras verdoyantes, de vallées glaciaires et de montagnes abruptes enneigées toutes dominées par le majestueux mont McKinley, Denali s'inscrit bien comme l’emblème incontestable de la grande Wilderness d'Amérique du Nord.  Les premiers naturalistes comme Sheldon, Nelson et Grinnell l'avaient bien compris et il ne fallut attendre que quelques années pour que la décision de créer un parc naturel soit entérinée. C'est ainsi qu'en 1917, le président Wilson officialisa la création du "Mount McKinley National Park". Ce premier nom fut donné en l'honneur du 25ème président des Etats-unis, William McKinley, qui exerçait son mandat durant les premières expéditions. Mais le nom du parc changea ensuite en raison des nombreuses critiques faites par les populations autochtones. Ces dernières avaient en effet pour coutume de nommer en langue athapascane la plus haute montagne d'Alaska "Denali". Ainsi après de nombreuses controverses, c'est finalement le nom de Denali National Park qui fut retenu afin de représenter au mieux l'authenticité et le caractère sauvage de ce parc naturel unique. 

La tourbière d'altitude, un héritage écologique post-glaciaire.

Véritables mémoires des paysages subarctiques qui régnaient sous nos latitudes il y'a 12 000 ans, les tourbières de montagne apparaissent comme des reliques vivantes de notre passé climatique. Issus des dernières glaciations, ces paléoenvironnements ont évolué au fur et à mesure des millénaires vers des écosystèmes singuliers. Formées à partir de lacs post-glaciaires ou de dépressions tardiglaciaires inondées, les tourbières d'altitude sont le fruit d'une longue colonisation de la végétation sur l'eau. Les sphaignes incarnent ces mousses acidophiles pionnières étant à l'origine d'une vaste construction végétale flottante. Très avides d'eau, ces végétaux ont progressivement recouvert et comblé un milieu lacustre en lente voie de disparition. En l'absence d'oxygène et d'activité bactérienne, le cycle du carbone s'est ralenti et a donné naissance à un processus bio-chimique appelé la "tourbification". Cette accumulation de matière organique, en cours de minéralisation, représente ici le support d'un écosystème complexe où l'acidité joue un rôle primordial. Avec une faune et une flore proches des toundras polaires, les tourbières d'altitude représentent des milieux naturels offrant une diversité spécifique originale. Parmi les espèces typiques de ces milieux humides froids et acides apparaissent l'Airelle des marais, la Linaigrette vaginée, la Laîche pauciflore, l'Andromède à feuilles de polium, la Scheuchzérie des marais, le Lycopode inondé, le Scirpe cespiteux, le Comaret ou encore la Canneberge connue aussi sous le nom de myrtille des Lapons. Certaines plantes comme les Droséras ont pu s'affranchir de ce milieu réducteur en capturant des insectes à l'aide de leurs feuilles tapissées de poils gluants. Ces minuscules plantes carnivores témoignent des stratégies d'adaptation de la flore au cours des périodes interglaciaires. Durant ces épisodes de transition, des insectes ont également évolué en parallèle du développement de cette flore sub-boréale. C'est le cas par exemple de papillons comme le Lycène hellé ou le Nacré de la Canneberge mais aussi de certaines libellules du genre Leucorrhinia ou Somatochlora.

Le cirque du Frankenthal : Une belle empreinte glaciaire.

Cirque du Frankenthal, massif vosgien (photo u.g.o)
Cirque du Frankenthal, massif vosgien (photo u.g.o)

L'ancien cirque glaciaire du Frankenthal se situe sur le versant alsacien de la grande crête des Hautes Vosges. Celui-ci est plus profondément échancré et creusé que les autres modelés situés à l'ouest de la ligne de crête. La raison tient au fait que, durant les dernières glaciations au Quaternaire, les vents dominants venant d'ouest balayaient beaucoup de neige en direction de l'est. Ils provoquaient alors une suralimentation des versants orientaux. Ayant profité d'un contexte géo-morphologique favorable suite à l'affaissement progressif de la plaine rhénane durant l'époque tertiaire, ces zones d'accumulation neigeuses ont pu se former rapidement du coté alsacien. Elles donnèrent naissance à des niches de nivation conséquentes qui amorcèrent par la suite la formation de beaux cirques glaciaires. Les creusements furent dès lors très importants et ils laissèrent derrière eux des pentes abruptes aujourd'hui bien visibles dans le paysage vosgien. Actuellement le Frankenthal possède un dénivelé positif d'environ 240 mètres. Le fond de ce cirque est occupé par une tourbière, en voie de fermeture, connue sous le nom de l’Étang Noir. Les eaux qui alimentent ce bassin versant rejoignent la vallée de la Petite Fecht puis se dirigent ensuite vers la vallée de Munster.