Quand la Fleur de tan nous dévoile ses secrets de sorcière.

Fuligo septica, Massif vosgien (photo ugo)
Fuligo septica, Massif vosgien (photo ugo)

Voici une créature des plus curieuses qui a le don de questionner notre connaissance de la nature. Ressemblant à une éponge de mer ou à une moisissure, la Fleur de Tan fait parti de ces êtres vivants difficilement classable dans le grand empire de la biodiversité. Organisme unicellulaire dont la reproduction s’apparente à celle des champignons mais dont le mode de nutrition se rapproche de celui des animaux, le crachat de coucou, qu’on appelle aussi parfois beurre de sorcière, fait bien partie du règne des protozoaires, un taxon regroupant des eucaryotes aux formes de vie simplifiées. Longtemps rattaché au règne des Plantes en tant que végétaux cryptogames et au règne des Fungi par son statut de myxomycète, l’espèce est actuellement répertoriée dans la famille des Physaracées, des protistes mycétozoaires incluant d’autres espèces originales comme Physarum polycephalum connu du grand public sous le nom de Blob. Ces étranges formes de vie gluantes ont la particularité de se déplacer par temps humide de plusieurs centimètres par jour. Elles pratiquent grâce à leur plasmode mobile la phagocytose, un mécanisme d’ingestion cellulaire de particules et de micro-organismes sous l’action d’enzymes spécifiques situées dans des vésicules cytoplasmiques. Se développant sur des substrats généralement en décomposition, les mycétozoaires se retrouvent sur de nombreux supports comme des écorces d’arbres dégradées, telles celles du chêne qu’on exploitait autrefois pour tanner le cuir d’où le nom de Fleur de tan, des souches pourries, des feuilles mortes, des tas de compost mais peuvent aussi apparaître dans des milieux comme des pelouses, des cultures ou des aménagements paysagers. C’est d’ailleurs dans ce dernier type d’habitat qu’on a pu mesurer en 2016, au sein même de l’Institut de recherche botanique du Texas, le plus grand spécimen de Fuligo septica connu actuellement sur Terre, un plasmode de 55 par 76 cm qui s’était formé sur des écorces broyées servant de paillage pour des expériences environnementales. Le précédent record avait été établi dans une scierie sur l’île de Gotland au sud-ouest de la Suède, un pays dans lequel le folklore scandinave perçoit la Fleur de tan comme la marque d’un esprit familier démoniaque. Il est en effet relaté que les sorcières avaient pour coutume de donner naissance à des chats ou des lapins afin de voler le lait et la crème de fermes situées aux alentours. Lorsque ces animaux domestiques maléfiques avaient trop bu, ils régurgitaient parfois une partie du butin et le recrachaient dans la nature. C’est peut être là une des explications pour laquelle la Fleur de tan est dénommée depuis longtemps vomi ou beurre en Europe de l’Ouest. Il était admis, qu’en brûlant ces déjections maudites, on infligeait directement des blessures douloureuses aux sorcières. Il fallait donc, en plus d’exterminer ces prétendues magiciennes, être sûr de tuer l’animal ensorcelé pour éradiquer définitivement l’esprit malfaisant. Support indéniable à de multiples croyances et superstitions, la Fleur de tan garde bien des secrets que la science ne saurait entièrement élucider. 

Le scléroderme, leurre idéal pour une escroquerie à la truffe.

Scleroderma citrinum (photo ugo)
Scleroderma citrinum (photo ugo)

Basidiomycète à la peau dure et verruqueuse bien souvent craquelée par le temps, le Scléroderme a le mérite de ne pas éveiller les fougues des cueilleurs de champignons obnubilés par les fructueuses récoltes d’automne. Et pourtant… Derrière son apparence de vesse-de-loup peu appétissante, se cache le spectre d’une activité commerciale potentiellement lucrative. Appelé  « truffe du pauvre » dans certaines régions géographiques du nord-est de la France, ce champignon peut en effet servir de succédané de la truffe noire dans plusieurs produits de consommation tels que les pâtés. Sa chair noire, que l’on appelle gléba, présente d’ailleurs des veines blanches, comme chez Scleroderma citrinum, qui ne sont pas sans rappeler l’apparence authentique du précieux or noir de la gastronomie française. On comprend alors pourquoi certains esprits mal intentionnés se sont emparés rapidement de l’idée de substituer cette denrée coûteuse puisque rare par un autre produit facilement accessible et de surcroît sans valeur marchande. Mais cette escroquerie à la truffe est fort heureusement loin de passer inaperçue auprès des consommateurs et différents organismes de sécurité alimentaire, du moins en Europe de l’Ouest. D’une part parce qu’elle a recours à un champignon légèrement toxique dont l’odeur plus ou moins forte de caoutchouc ne peut qu’interpeller ; et d’autre part parce qu’elle ne peut contourner l’examen des spores durant certaines opérations de contrôle sanitaire. Mise au jour, ce type de pratique frauduleuse peut être sévèrement réprimé par la loi. Les responsables alors enfin identifiés pourront ainsi certainement regretter, selon le vieil adage, de nous avoir également pris pour des truffes !

Des joyaux d'améthyste cachés dans nos sous-bois ?

Laccaria amethystina, Vosges (photo Ugo)
Laccaria amethystina, Vosges (photo Ugo)

Nous savions que la forêt abritait de nombreux trésors de mycélium comme les pézizes à disque turquoise, les fleurs de Tan au thalle jaune soufré, les clathres d’Archer aux cordons grenat, les hygrophores blancs aux reflets d’ivoire ou encore les charmantes amanites à voile de citrine ; mais savions-nous qu’il existait également des joyaux d’améthyste d’une valeur inestimable pour tous les collectionneurs et cueilleurs de champignons ? Cachés en petits effectifs dans les mousses ou exposés timidement en plus larges colonies sur du bois mort, les laccaires améthyste sont des champignons saprophytes communs qui poussent essentiellement dans les forêts humides tempérées d’Europe, d’Asie et d’Amérique du Nord. Leur frêle stature les rend particulièrement discrets et ce sont leurs divines couleurs violettes améthyste qui les mettent en lumière dans les sous-bois peu éclairés. Très hygrophanes, ces curiosités de la nature peuvent parfois présenter des ressemblances avec d’autres espèces notamment lorsque celles-ci se dessèchent. Devenant beaucoup plus pâles, des confusions sont alors possibles avec des basidiomycètes toxiques comme le Mycène pure ou l’Inocibe à lames terreuses. Fort heureusement, l’odeur dégagée par ces deux imposteurs n’a rien à envier à la saveur douce et fruitée libérée par nos chers joyaux d’améthyste. Ils apparaissent d’ailleurs en bouche comme d’excellents comestibles grâce à leur arôme finement épicé et leur texture légèrement croquante. Toutefois, leur forte capacité à accumuler dans leurs tissus des éléments radioactifs et des métaux lourds tels que l’arsenic doit naturellement en limiter leur consommation. Décrits pour la première fois en 1778 par le naturaliste William Hudson, les « améthystes » ont connu au fil des siècles plusieurs changements taxinomiques. Passant du genre Agaricus au genre Collybia, l’espèce est aujourd’hui considérée comme une variante de Laccaria laccata. L’observation au microscope de ces magnifiques spores blanches globuleuses recouvertes de petites épines apparaît comme un critère de détermination majeur. Cependant la découverte de nouvelles espèces très proches en Amérique à l’image de Laccaria amethysteo-occidentalis et Laccaria gomezii montre que ces joyaux des forêts réservent encore bien des surprises et que nous sommes loin de posséder l’intégralité d’un trésor aux multiples facettes.

Xylaire : Les doigts de l'homme mort sortent des ténèbres !

Xylaria polymorpha, Vosges (photo ugo)
Xylaria polymorpha, Vosges (photo ugo)

C’est dans un imaginaire des plus débordants que ce champignon saprophyte nous invite à regarder une scène de  film d’épouvante qui pourrait avoir pour titre annonciateur « Le retour des morts vivants ».  Avec ses formes digitées plus ou moins cylindriques à surface noirâtre verruqueuse et bosselée rappelant les doigts d’un cadavre carbonisé ou putréfié tentant de sortir de terre, le Xylaire polymorphe ne peut s’empêcher de réveiller des idées lugubres enfouies au plus profond de nos esprits.  Derrière ce monde des ténèbres se cache pourtant un être vivant qui ne demande qu’à être porté vers la lumière. Appartenant au phylum original des ascomycètes, ce champignon inféodé aux troncs pourrissants d’arbres feuillus comme le hêtre fait en effet quelque peu figure d’exception dans le grand cercle des "créatures" pourvues de mycélium. En sectionnant les parties proéminentes de son corps appelé stroma se dévoile notamment une chair blanche fibreuse et coriace contrastante dont l’odeur rappelle étonnement celle de la noix de coco et qui présente la particularité d’être entourée d’une croûte superficielle constituée de petites loges noires en forme de fioles connues sous le nom de périthèces. Ces curieux organes à fleur de peau assurent ici la dissémination lente de spores sexuées contenues dans des asques par le biais de minuscules ouvertures nommées ostioles à l’arrivée de l’automne. Tributaire en sus d’un épisode de multiplication végétative au printemps au cours duquel cet ascomycète se verra couvert d’une fine robe poudreuse de couleur gris bleuâtre dans laquelle seront disséminées des conidies asexuées; le Xylaire s’affiche certainement comme l’un des individus fongiques à présenter un cycle de reproduction des plus longs mais aussi des plus complexes. Force est de constater que loin d’être un cauchemar, les doigts de l’Homme mort emportent dans leur tombe les secrets d’un univers scientifique qu’il convient de porter à connaissance et de ne jamais ignorer. 

Une fascination mycologique : la Calocère visqueuse !

Calocera viscosa, Vosges (photo Ugo)
Calocera viscosa, Vosges (photo Ugo)

Petit buisson ardent des forêts aux allures élégantes de corail doré, la Calocère visqueuse offre au promeneur un spectacle des plus romanesques de l'automne. Appartenant à la famille des Dacrymycètacées, ce petit champignon saprophyte aux couleurs flamboyantes se retrouve essentiellement dans des sous-bois de conifères. Basidiomycète non toxique, la Calocère visqueuse possède une chair très coriace rappelant la texture du caoutchouc. Pour les curieux de la nature qui tenteront de le récolter par temps pluvieux, ce champignon constituera une véritable épreuve. Avec une viscosité hors du commun, cette espèce échappera plus d'une fois à vos tentatives de ramassage avec les doigts. Et quand bien même vous y parviendrez, ces petites cornes dorées vous prieront de les reposer car elles ne présentent pour ainsi dire aucun intérêt. Hormis utile à des fins scientifiques, la Calocère visqueuse est quelquefois prélevée pour embellir des plats et salades d'automne comme l'attestent certaines recettes issues de la culture anglo-saxone. On se demandera si posséder ce trésor naturel vaut vraiment toute la magnificence d'une observation in situ. A en croire une célèbre citation de Nietzsche, l'admiration d'une qualité ou d'un art peut être si forte qu'elle nous empêche de nous efforcer d'en obtenir la possession !

La Collybie à pied velouté, un délice hivernal.

Flammulina velutipes (photo ugo)
Flammulina velutipes (photo ugo)

La Collybie à pied velouté est un champignon basidiomycète du genre Agaricus. Elle possède un pied sans anneau, ce qui la différencie de nombreuses armillaires; et porte un chapeau jaune orangé visqueux et collant dont l'aspect rebute bien souvent de nombreux chercheurs de champignons. Pourtant c'est un comestible excellent doté d'une saveur douce ou amère. Il fera le bonheur des randonneurs en forêt et ceci surtout pendant l'hiver ! Et oui, la Collybie à pied velouté a la particularité de s'épanouir dès les premières gelées. Organisé en grandes touffes sur les souches d'arbres feuillus, ce champignon cryophile est principalement visible de décembre à mars. La confusion reste alors impossible contenu du peu d'espèces présentes en période hivernale. Si bien qu'on ne s'étonnera pas de rencontrer des cueilleurs de champignons en raquettes ou en boots parcourant les forêts à la recherche d'un délice caché parfois sous la neige ! 

Ces curieux champignons poussant dans les bois.

Anthurus d'Archer
Anthurus d'Archer
Satyre puant
Satyre puant
Sparassis crépu
Sparassis crépu
Amanite tue-mouches
Amanite tue-mouches

Polypore soufré
Polypore soufré
Clavaire fragile
Clavaire fragile
Géastre sessile
Géastre sessile
Léotie lubrique
Léotie lubrique